Encres de tatouage : Chronique d'un chaos annoncé
Dans cette page :
🔴 Un règlement infondé, incohérent et illicite
🔴 Les craintes de 2021 confirmées voire aggravées
🔴 Quelles perspectives à venir ?
Il y a 21 mois, on se posait la question :
"ON EST FOUTUS ?"
C'était juste après le 5ème Congrès de l'European Society of Tattoo and Pigment research (ESTP), peu de temps avant l'entrée en vigueur des nouvelles restrictions REACH sur les encres de tatouage.
Un an et un premier bilan plus tard, la question devenait :
"LE PLUS DUR RESTE À VENIR ?"...
Du 24 au 26 mai 2023, le congrès biennal de l'ESTP a confirmé à la fois les aberrations d'un Règlement fondé sur un néant scientifique et toutes les hypothèses auxquelles on s'attendait : Il a même un peu noirci le tableau sur certains aspects, et les perspectives d'amélioration sont bien maigres à ce stade...
🔴 UN RÈGLEMENT INFONDÉ, INCOHÉRENT ET ILLICITE
Plusieurs intervenants ont pu appuyer les éléments déjà dénoncés depuis près de 2 ans, concernant les restrictions imposées par le Règlement (UE) 2020/2081 du 14 décembre 2020 sur les encres de tatouage... Lesquelles doivent désormais, pour être mises sur le marché et utilisées dans tout pays de l'UE, porter la mention "Mélange pour le tatouage ou pour le maquillage permanent" :
- Le règlement s'appuie sur les propositions de l'ECHA (Agence européenne des produits chimiques) fondées sur un unique rapport ("Dossier annexe XV") de plus de 500 pages dans lesquelles on ne trouve ni évaluation toxique, ni modèle in vivo, ni analyse scientifique, ni démonstration du risque, ni alternative, ni même les qualifications des rédacteurs du document... On ignore jusqu'à leur identité, disposant comme unique renseignement le nom des pays contributeurs (Danemark, Italie, et Norvège, avec la participation de l'Allemagne).
- Le rapport Annex XV en fait état dans ses propres pages : Suppositions, incertitudes, approximations et extrapolations ont abouti à des propositions tout aussi incertaines et approximatives... Le dossier affiche même une "liste d'incertitudes" et "la manière dont elles influencent la caractérisation du risque", ainsi que des "risques excessifs" et "surestimés" !
Rappel: Une lecture critique et détaillée de ce rapport, réalisée à la demande du SNAT, est toujours disponible sur demande à contact@snat.info.
- Les restrictions du Règlement (UE) 2020/2081 sont directement liées aux restrictions appliquées aux cosmétiques = Si une substance est ajoutée ou retirée sur les listes cosmétiques, elle est automatiquement intégrée en conséquence aux restrictions applicables aux encres de tatouage.
- Certaines limites restent à ce jour techniquement irréalisables (exemple: Formaldéhyde), avec des incohérences sur les valeurs limites et sur la définition des pigments.
- Le Règlement ne prévoit aucune contrainte de stérilisation, ce qui signifie que le risque microbiologique n'est pas pris en compte dans les produits finis.
- L'interdiction des pigments Blue 15 et Green 7 est maintenue sans preuve de danger : Exclus sur la base d'une absence de preuve d'innocuité en usage pour colorants à cheveux, et ne présentant pas de réel intérêt pour cette application, aucun industriel n'a souhaité dépenser de l'argent dans un dossier de sécurité hors de prix pour ces 2 pigments.
- Les pigments nouvellement introduits dans les encres vendues "conformes" sont dépourvus d'observations cliniques ou pratiques : Les professionnels sont ainsi contraints de tester directement ces nouveaux produits sur leurs clients.
- Deux obligations européennes sont ignorées par le Règlement : l'obligation préalable d'évaluation des risques et l'identification de solutions de remplacement aux produits devenus de fait interdits.
- Des interrogations juridiques complémentaires soulèvent d'autres doutes, comme les principe de proportionnalité, de sécurité juridique et d'évaluation de l'impact de la règlementation : Ces questions confirment les lacunes scientifiques et rédactionnelles du Règlement (UE) 2020/2081.
Malgré la bonne volonté d'une poignée de parlementaires et de conseillers ministériels jusqu'au plus haut niveau de l'Etat, les instances françaises restent à ce jour dans l'incapacité d'apporter des réponses ou un quelconque soutien aux tatoueurs.
Support SNAT présenté au WCTP le 24 mai 2023
🔴 LES CRAINTES DE 2021 CONFIRMÉES VOIRE AGGRAVÉES
L'objectif affiché du Règlement Reach est un gain de transparence et une amélioration de la sécurité. Un an et demi après son entrée en vigueur, les faits montrent qu'il a généré l'effet inverse : Difficultés à identifier les produits conformes/non conformes, réticences des professionnels à tester les nouveaux produits, incompréhensions sur l'étiquetage (apparition de substances interprétées comme "nouvelles" : nickel, etc.)...
Parmi les données issues d'exemples localisés dans différents pays de l'UE :
- Des palettes de couleur réduites de 60 à 80% selon les marques
- Des dizaines de pigments "nouveaux" = Absents des encres de tatouage avant 2022, sans aucune donnée sur la sécurité ou la stabilité de ces pigments
- Des formulations extrêmement variables d'une marque à l'autre, élaborées dans la précipitation, non éprouvées sur les plans sanitaire et artistique
- Présence de pigments interdits par Reach dans les produits mis sur le marché depuis janvier 2022 et janvier 2023
- Absence d'alternatives sûres et stables aux pigments Blue 15:3 et Green 7 ; Persistance d'incertitudes sur l'ensemble des palettes de couleurs
- Marché européen chamboulé, avec apparition de nouveaux fabricants et recul des marques historiques
- Indisponibilité d'une large gamme de couleurs impactant le tatouage artistique 3D de tétons post-mastectomie
- Absence de politique de contrôle ou méthodes d'analyse non validées : La plupart des Etats membres n'ont défini aucun mandat d'application ou de contrôle (c'est le cas de la France, qui ne dispose même pas, à ce jour, de Helpdesk Reach, au contraire du Luxembourg par exemple, qui a mis en place son Helpdesk dès décembre 2021 en communiquant autant que possible vers les tatoueurs)
- Initiatives localisées de contrôles basés sur des méthodes non validées, amenant à des sanctions de fait aléatoires et abusives
- Non conformité de nombreuses encres de tatouage vendues "REACH compliant" depuis 2022 : Soit elles ne respectent pas les nouveaux seuils des limites fixées par Reach sur plusieurs substances, soit l'étiquetage révèle des pigments normalement exclus... Soit les deux !
Post-congrès, l'ESTP résume ce dernier point :
L'analyse et les données sur l'étiquetage des encres ont révélé une forte diminution des pigments colorés après REACH. Plus de 95 % des encres pourraient ne pas être conformes aux réglementations REACH, certaines d'entre elles étant également dues à un manque d'étiquetage adéquat.
Le plus gros problème, comme nous l'avions déjà prédit lors de notre congrès pré-REACH en 2021, est la concentration d'aldéhydes. Les raisons invoquées par les présentateurs concernent les matières premières et l'exigence de stérilisation dans certaines législations nationales de l'UE.
🔴 QUELLES PERSPECTIVES À VENIR ?
On peut rappeler qu'à l'instar des autorités européennes et nationales, tatoueurs, tatoués, fabricants et distributeurs ont tous idéalement les 2 objectifs suivants :
- Disposer de produits sûrs avec des risques minimisés
- Éviter les pratiques clandestines et les produits frauduleux
Une évidence fait l'unanimité parmi les experts de l'ESTP : Le Règlement REACH devrait impérativement être révisé en tenant compte des spécificités du tatouage, de son modèle toxicologique et de la fabrication de ses encres.
Les impératifs dégagés sont les suivants :
- Repenser les seuils limites pour une faisabilité technique en intégrant les contraintes de stérilité et de microbiologie (contraintes non prévues par l'actuel Règlement !).
- Ré-évaluer les limites par substances, et non par groupes/classes de substances.
- Construire des méthodes d'analyses validées et harmonisées : Plusieurs axes de recherches ont été ébauchés dans le cadre de l'ESTP depuis 10 ans, la progression et les découvertes sont exposées lors de chaque congrès bisannuel.
Si c'est principalement le long terme qui peut laisser espérer une telle révision, plusieurs observations doivent être prises en compte dans ce but :
- L'incidence des complications sur les tatouages est réellement INCONNU en dehors des cas cliniques isolés. Toute allégation/média affirmant un pourcentage spécifique est de fait erroné, car non documenté.
- Le Royaume-Uni (HSE) a admis une dérogation pour le Blue 15:3 et le Green 7 en s'appuyant notamment sur une pétition nationale et l'absence de prévision des conséquences non prévues par les nouvelles formulations non éprouvées. Il défend, comme l'Allemagne, le principe d'une liste positive de pigments.
- D'après plusieurs constats cliniques recueillis sur plusieurs années dans différents pays, le pigment Blue 15:3 en particulier présente un profil de sécurité favorable, avec un bon niveau de tolérance et de rares effets cutanés observés.
- L'Australie n'a pas validé le Reach et a rejeté sa mise en oeuvre en l'état.
- Les États-Unis (FDA) ont initié un processus totalement distinct, à travers le MoCRA (Loi de modernisation de la règlementation des cosmétiques).
- Les réactions allergiques les plus fréquentes sont rapportées sur du rouge (jusqu'à 50% de l'ensemble des complications recensés sur un site clinique) et sur du noir (moins de 20%).
- L'encre de tatouage n'est pas systématiquement identifiée comme potentiellement responsable d'une complication (irritation, allergie ou infection) : Celle-ci, qui peut revêtir des formes extrêmement variées, peut trouver une ou plusieurs sources parmi les produits annexes du tatoueur (désinfectants, antiseptiques, gants, pansement, etc.), les gestes d'un praticien non respectueux des règles sanitaires (non professionnel), le comportement et l'hygiène de la personne tatouée dans les jours suivants la réalisation du tatouage, l'usage de produits de cicatrisation ou d'hydratation, l'exposition au soleil ou à un laser de détatouage, l'usage de produits de détatouage alternatifs, etc.
- Les tatoueurs constituent un potentiel de veille significatif, moyennant des campagnes de sensibilisation appropriées, pour la prévention et le dépistage précoce des mélanomes : La règle ABCDE (asymétrie, bords, couleur, diamètre, évolution) est simple à comprendre et à retenir.
- Les hypothèses scientifiques sur les possibles réponses immunitaires (et leurs conséquences) sont variées et parfois contradictoires : Notamment, aucune théorie "cancérigène" n'est avérée à ce jour. Seules des évaluations toxicologiques précises et des études épidémiologiques de grande ampleur et sur un long terme pourraient préciser les théories du risque ou au contraire confirmer une absence de risque spécifique.
EpiTAT (Epidemiological Tattoo Assessment Tool) est la première initiative épidémiologique d'ampleur, lancée conjointement par la France (CIRC-OMS Lyon, INSERM Paris...) et l'Allemagne (BfR Berlin...) en 2023 : Si les modalités de collecte des données restent améliorables, cette étude devrait suivre, dans les deux pays, plusieurs dizaines de milliers de personnes tatouées sur 20 ans, avec des résultats préliminaires d'ici 3 ans.
Si l'objectif affiché est de repérer d'éventuels risques spécifiques de cancer chez les personnes tatouées, le résultat attendu est plutôt de confirmer un constat équivalent entre tatoués et non tatoués, qui pourrait ainsi pousser les parlementaires européens à transiger sur le Règlement qui s'applique depuis janvier 2022... Si rien n'a encore été fait d'ici 2026 !
👍 Les initiatives complémentaires de l'ESTP et de Savethepigments
L'ESTP, forte de 10 ans d'existence*, maintient son engagement auprès de l'Union Européenne et des Etats membres impliqués. La communauté regroupée autour du WCTP tend à collecter des données scientifiques, identifier les réels effets indésirables et leurs causes, et développer des méthodes d'analyse des encres. La communication scientifique en résultant vise à permettre une interprétation commune entre scientifiques, artistes et autorités.
Du point de vue de l'ESTP, 2 grandes actions sont susceptibles d'améliorer la sécurité des consommateurs :
- à court terme : Une résolution du Parlement européen pourrait exiger une période transitoire plus longue, de 5 ans.
- à long terme : Une évaluation scientifique solide des risques liés aux substances en question permettrait à l'ECHA et à l'UE de modifier la restriction sur cette base.
Les pétitionnaires Savethepigments ont été entendus pour la dernière fois au Parlement Européen le 26 janvier 2023.
La seconde Pétition n° 0712/2022 réclame principalement une extension de la période dérogatoire pour les pigments Blue 15:3 et Green 7, ainsi qu'un ajustement des valeurs seuils dans le Règlement.
👍 Les soutiens politiques et institutionnels
🇦🇹🇩🇪🇧🇬 Bien qu'encore trop rares pour peser dans le débat, c'est en Autriche, en Allemagne et en Bulgarie qu'on trouve les premiers soutiens parmi les euro-députés.
En Allemagne, le BfR (Institut fédéral d'évaluation des risques) :
- propose d'identifier les pigments (et les impuretés) qui ne sont pas appropriés au tatouage et de répondre aux exigences toxicologiques afin d'élaborer des exigences minimales pour servir de base aux futures évaluations des risques en fonction de l'état de la science ;
- défend le principe d'une liste positive de pigments (autorisés) à l'inverse de la liste négative actuellement appliquée, définie sur la base des données actuelles, avec des méthodes d'analyse harmonisées et adaptées, suivant un processus de consultation de l'ensemble des parties prenantes (en cours: Commission consacrée aux encres de tatouage sur les questions analytiques, toxicologiques et technologiques).
👍 La voie juridique
Les déficiences rédactionnelles et scientifiques du Règlement 2020/2081 ouvrent des potentiels de saisine de la Cour de Justice de l'Union Européenne...
Se pose alors la question du mandat et du financement de telles procédures : En initiant une action juridique en 2023, le SNAT espère inspirer le plus grand nombre possible de recours...
Patience et ténacité sont les conditions de résistance à la rigidité de l'Union Européenne, qui ne peut admettre, politiquement, de remettre en cause un Règlement "fraîchement" voté par les Etats membres, malgré les évidences techniques, scientifiques, sanitaires, juridiques et économiques...
* Pour mémoire, l'ESTP a tenu son premier congrès en novembre 2013 à Copenhague.
Au même moment, en France, on traversait une première crise sur les encres de tatouage avec la menace d'une règlementation nationale : Après avoir alerté sur la situation française, le SNAT, par le biais de Tin-tin, son président, a rejoint les membres fondateur de l'ESTP, et a renouvelé son soutien jusqu'en 2016.
Malgré une orientation parfois trop "scientifique" pour susciter véritablement l'attention des tatoueurs, il faut saluer les multiples tentatives de l'organisation à but non lucratif à influer, dans l'intérêt de la communauté du tatouage, sur le projet de Règlementation REACH qui se dessinait depuis 2016 : Commentaires techniques à l'ECHA, lettre ouverte à la Commission Européenne, alerte du Médiateur européen... Jusqu'à une récente lettre au Parlement Européen visant à appuyer l'initiative @Savethepigments. À la lumière de ces efforts notamment, le SNAT a renouvelé son soutien à l'ESTP en 2022.
Le Congrès de l'ESTP est devenu, depuis 2021, un rendez-vous mondial de recherche sur le tatouage et les pigments (l'ECTP devient le WCTP = World Congress of Tattoo and Pigment research) : La plupart des présentations du WCTP 2023 restent difficiles d'approche pour des non-scientifiques, mais 1 session sur 4 est présentée par un représentant du monde du tatouage, avec pour la première fois un atelier pédagogique interactif entre scientifiques et professionnels.
(RES)SOURCES (non exhaustif) :
European Society of Tattoo and Pigment research (Europe)
World Congress of Tattoo and Pigment research 2023 (Europe et monde)
WirtschaftsKammer Österreich (Autriche)
SMEunited (Europe)
Savethepigments (Autriche pour Europe)
Pétitions n° 0712/2022 et n° 1072/2000 (Europe)
Syndicat National des Artistes Tatoueurs et des professionnels du tatouage (France)
The Tétons Tattoo Shop (France)
BundesVerband Tattoo (Allemagne)
The 3 Pylons (Autriche)
Lexpertise Legal Network (Italie)
Bundesinstitut für Risikobewertung (Allemagne)
Food and Drug Administration (Etats-Unis)
Tattoo Poli (Pays-Bas)
Tattoos & Health (France & Finlande)
Hôpital Bichat Paris (France)
Helsinki University Hospital (Finlande)
European Academy of Dermatology and Venereology (Europe)
InformationsVerbund Dermatologischer Kliniken (Allemagne)
International Agency for Research on Cancer (France)
Tatoveringsklinikken (Danemark)
Council of European Tattoo Associations (Europe)
Kantonales Laboratorium (Suisse)
National center for chemicals, cosmetics and consumer protection (Italie)
Lien vers cet article:
www.snat.info/articles/121687-encres-de-tatouage-chronique-d-un-chaos-annonce
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